Les émotions et la psycho-thérapie

Les émotions ont avant tout une fonction adaptative. Elles préparent l’organisme à interagir avec son environnement de manière à assurer son bien-être et sa survie. L’émotion correspond à un vécu subjectif qui est un traitement de l’information et une construction mentale à partir de ce qui vient du monde extérieur et/ou des sensations physiques.

Les phénomènes émotionnels

Les phénomènes émotionnels sont composés de facettes cognitives, psychologiques et sociales. Des différences individuelles sont observées dans l’expression non-verbale des émotions. Les "externaliseurs" sont des individus qui expriment ouvertement leurs émotions par le canal non-verbal, contrairement aux "internaliseurs" qui expriment peu leurs émotions non-verbalement. Au cours de différentes expériences éducatives les "internaliseurs " auraient été punis pour l’expression spontanée de leurs émotions, ce qui les aurait amenés à contrôler leur expression émotionnelle. Par un conditionnement classique, les émotions auraient acquis chez eux le statut de "stresseur". La résultante serait une émotion peu ou pas exprimée non-verbalement mais ayant des répercussions physiologiques très importantes.

Un autre type de différences dans l’expression non-verbale des émotions concerne la capacité de reconnaissance des expressions faciales. D’une façon générale, l’émotion induit des changements intentionnels immédiats et l’attention se focalise automatiquement, par des biais attentionnels, sur les éléments centraux à l’émotion. Les biais attentionnels, induits par l’émotion, ne sont pas sans conséquence pour la mémoire des évènements émotionnels.

Chaque individu construit des schémas associatifs pour une série d’émotions qui apparaissent de manière récurrente dans son existence. Le ressenti des émotions joue un rôle particulièrement important dans la genèse de la prise de conscience de soi. Les processus cognitifs sont déterminants dans les expériences émotionnelles. Ce sont eux qui permettent le sentiment subjectif et la prise de conscience émotionnelle. Ils jouent un rôle important dans la régulation des émotions.

La facette expressive de l’émotion est aussi importante puisque les comportements expressifs sont régulés par un ensemble de règles sociales et culturelles pour le partage social des émotions.

L’évitement émotionnel

La première question à se poser face à une expression émotionnelle est de savoir si son intensité est trop forte ou trop faible, si l’émotion est sous-contrôlée ou sur-contrôlée.

L’évitement émotionnel est considéré comme le moteur central de la plupart des troubles psychopathologiques. L’alternative clé est l’acceptation ou le refus de l’expérience émotionnelle négative. Mais l’évitement des émotions ne mène pas à leur disparition. Au contraire, tant que l’émotion n’est pas traitée, l’évitement émotionnel empêche la prise de conscience des besoins, des désirs et des difficultés qui en sont à l’origine. La situation problématique ainsi que l’émotion qui en résulte ont donc toutes les chances de se maintenir. De plus, l’évitement et la suppression émotionnelle requièrent d’importantes ressources qui sont le " prix à payer " de la part de l’individu, toujours sur ses gardes, guettant les signes avant-coureurs de l’émotion.

L’évitement émotionnel peut prendre différentes formes comportementales ou cognitives. La rumination mentale est présente dans beaucoup de troubles émotionnels. Elle est une forme de pensée récurrente à propos d’une préoccupation émotionnelle. Les quatres types d’émotions pathologiques sont :
- la sur-activation émotionnelle ;
- la sous-activation émotionnelle ;
- l’inhibition émotionnelle ;
- le déficit de compétence émotionnelle.

La restructuration cognitive

En clinique, l’étude des biais cognitifs de la mémoire émotionnelle justifie des interventions basées sur la restructuration cognitive. Le but de ces interventions est de corriger les jugements du patient, en partie fondés sur une mémoire émotionnelle biaisée par rapport à la situation. Le thérapeute va rétablir, à différents niveaux, une base de données plus objective en tenant compte des souvenirs d’événements positifs en mémoire :
- la conscience des sensations corporelles suscitées par l’émotion ;
- la conscience de la tendance à l’action activée ;
- l’identification consciente de l’émotion ;
- la prise de conscience d’états émotionnels mixtes dans lesquels plusieurs émotions sont mêlées.

Les émotions et les trois vagues de thérapies comportementales et cognitives - TCC

La première vague est comportementale. Elle se situe entre les années 1950 et 1980. Elle évoque peu d’émotion car elle se réfère au modèle radical comportemental de Burrhus Frederic Skinner (1904-1990), psychologue américain, qui repose essentiellement sur l’analyse expérimentale du comportement.

La deuxième vague, entre 1970 et 1990, correspond à la révolution cognitive. La thérapie rationnelle-émotive d’Albert Ellis (1913-2007), psychologue américain, étudie les systèmes de croyances irrationnels conscients ou préconscients du patient afin de les modifier. Dès le début des années 1970, l’intérêt est clair pour les processus émotionnels, à partir de l’étude des pensées automatiques préconscientes reliées aux émotions négatives. La thérapie cognitive insiste tout autant sur les relations entre les cognitions, pensées ou monologues intérieurs, et les émotions conscientes et inconscientes.

La troisième vague débute dans les années 1990. Elle correspond essentiellement à la thérapie dialectique comportementale de Marsha M. Linehan (née en 1943), psychologue américaine [1], la pleine conscience (mindfulness) et la thérapie des schémas de Jeffrey E. Young [2]. Ce dernier met en évidence le fait que des perturbations anciennes dans le processus d’attachement, en référence à la théorie de l’attachement de John Bowlby [3], sont à relier aux difficultés actuelles dans la relation amoureuse. En pratique, ce modèle du développement affectif aide le patient et le thérapeute à conceptualiser la genèse des perturbations émotionnelles et à réparer les carences parentales précoces.

La pleine conscience ou mindfullness

La thérapie de la pleine conscience se nourrit du bouddhisme tout en restant attachée à la tradition cognitive. Il s’agit d’un état de conscience qui résulte de l’action volontaire de maintenir son attention sur un élément donné. L’expérience est principalement " opérationnalisée " par les données sensorielles immédiates, sensations corporelles que l’individu voit, sent, entend ou goûte.

Cette expérience doit être associée à un certain état d’esprit, en entraînant une attitude de non-jugement. Contrairement à la relaxation, dans la pleine conscience, le thérapeute ne cherche pas à promouvoir un état physique ou psychologique agréable et détendu, mais plutôt à faire prendre conscience, le plus pleinement possible, de toutes les facettes de notre état actuel, négatif ou positif. La pratique de la pleine conscience implique des processus d’exposition prolongée avec prévention de la réponse de fuite, d’évitement et de non acceptation de l’expérience.

Les exercices de pleine conscience sont de deux types : formels et informels. Les premiers sont structurés et assez long : de 20 à 45 minutes. Les seconds sont des pratiques d’activités quotidiennes en pleine conscience plutôt qu’en " pilote automatique ". Dans les exercices formels que l’on retrouve, par exemple, le Body scan (balayage corporel).

Aborder les émotions

Il existe plusieurs étapes dans la prise de conscience des émotions : leur acceptation, l’exploration de leur signification, l’autorisation à les laisser se manifester, ainsi que la découverte de nos propres besoins et de nos désirs.

L’attitude d’observation et d’acceptation de l’émotion permet au processus émotionnel de suivre son cours naturel, sans être interrompu ni réprimé comme c’est le cas lorsque la personne refuse cette émotion. Il faut aider le patient à comprendre que ses émotions sont transitoires, qu’elles ont un début et une fin. Ainsi, mieux connaître l’émotion permet de mieux savoir ce qui nous affecte, nos besoins et nos désirs.

Pendant longtemps, l’émotion a surtout été abordée en termes de sensations négatives à soulager, voire supprimer à l’aide de différentes méthodes de relaxation.

Actuellement, l’émotion a une place et un rôle très important en thérapie. La pratique clinique permet de voir et de constater que beaucoup de patients ont des difficultés à vivre, à gérer et à accepter toutes leurs émotions, qu’elles soient positives et/ou négatives. D’autres sont dans un flou émotionnel, ils ont du mal à les ressentir, à les reconnaître ou, plus simplement, à en parler. Aborder l’émotion en thérapie permet de pratiquer :
- l’exploration de l’ "étiquetage" (trouver les mots pour décrire son propre état émotionnel) et des méta-cognitions (jugement sur leurs émotions) ;
- la psycho-éducation ;
- la restructuration cognitive ;
- des exercices de ressenti émotionnel à l’aide de la pleine conscience et la relaxation

Thérapie de groupe, régulation et vécu émotionnel

Quinze années d’expérience dans les thérapies de groupe et en clinique m’ont permis d’observer qu’elles pouvaient être un outil puissant dans l’apprentissage et la gestion des émotions. En unissant une longue expérience de thérapeute aux compétences d’une psychomotricienne, nous avons réfléchi à l’élaboration d’un nouveau format de thérapie de groupe dans laquelle de nombreux éléments allaient être abordés et travaillés ensemble : les émotions, les sensations, le vécu corporel et la mémoire émotionnelle du corps, les jugements et les pensées autour des émotions, à travers l’histoire, le vécu et les difficultés émotionnelles propres à chaque participant. Ce format comprend différentes techniques et outils thérapeutiques :
- la psycho-éducation autour des émotions ;
- des techniques de pleine conscience ;
- des techniques de relaxation ;
- des techniques de mise en scène (des jeux de rôle) ;
- le travail cognitif.

La psycho-éducation est utile pour pallier les lacunes dans la gestion et le vécu émotionnels. Elle permet aux patients d’acquérir des compétences susceptibles de diminuer le chaos et la labilité de leurs émotions et de leur humeur, de leur impulsivité et de leur sentiment de confusion par rapport à eux-mêmes. Ce travail bâti sur un modèle tri-dimensionnel s’articule autour de l’apprentissage et de la gestion des compétences émotionnelles, de la reconnaissance et de l’expression émotionnelle (blocages, limites et difficultés de chacun) et sur les intrications entre émotion-pensée et comportement.

- Les exercices de mindfullness favorisent l’acceptation de l’expérience émotionnelle sans jugement.

- Les techniques de relaxation et de respiration aident les patients à se centrer et à se concentrer sur leur corps, sur ses sensations et sur sa détente.

- Les jeux de rôles et de mise en scène permettent l’expression émotionnelle.

- Un travail sur les méta-cognitions et les jugements sur les émotions est également nécessaire

L’approche pluriprofessionnelle, psychologie et psychomotricité

Aujourd’hui, après un travail avec trois groupes, plusieurs enseignements apparaissent.

L’approche pluriprofessionnelle dans la prise en charge des problématiques émotionnelles montre l’importance de travailler en même temps le corps et l’esprit, sans les séparer, au vu de leurs constantes intrications dans le vécu émotionnel. Nous avons également constaté que le travail en binôme permet aux patients une meilleure compréhension de leur vécu émotionnel, ainsi qu’une évolution non négligeable de la gestion et de l’expression de leurs émotions. Il en est de même du changement, qui autorise les patients à passer d’une attitude de repli et d’évitement à une attitude de meilleure acceptation de leurs émotions. Ceci leur permet de diminuer la confusion dont leur vie est rempli en améliorant les problèmes relationnels qu’ils rencontrent. L’émotion est à la fois une sensation et une construction mentale dont la fonction principale est l’adaptation.

Cette expérience, extrêmement enrichissante pour les patients et pour les deux thérapeutes, invite à sensibiliser les professionnels de santé à ne pas s’enfermer dans des habitudes et des conditionnements, mais à réfléchir à de nouveaux modes de prise en charge, ouverts, qui mettent le patient, en tant que personne, au centre de nos pratiques cliniques.

Soins Psychiatrie N°257, Juillet/Août 2008, page 38-40. Editions Elsevier-Masson.

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